Avant-dernier jour, j'ai 20 km à marcher sur une grande plage de sable mouillé. Cela me laisse le temps de repenser aux 2940 km que j'ai derrière moi sur le Te Araroa (TA), une randonnée qui traverse la Nouvelle-Zélande du nord au sud . Je ne peux également m'empêcher de penser à la beauté de cette motricité qui m'a permis d'arriver jusqu'ici.
Comment notre motricité lors des premières années de vie influence-t-elle notre motricité plus tard ? C’est ce que nous allons voir dans les prochaines lignes
Tout ce que je vais vous partager dans les prochaines lignes s'applique au bébé, à l'enfant et l'adulte.
Pour moi, tout a commencé en septembre 1988 à ma naissance (3,7 kg et 47 cm).
Je n'ai que quelques mois et je tourne constamment la tête de droite à gauche pour observer ce qui m'entoure. Aujourd'hui, je continue de tourner ma tête de droite à gauche au milieu de paysages magnifiques, de la plage à la montagne, de la forêt aux rivières à traverser.
Bouger la tête dans tous les sens était ma première manière de découvrir ce qui m'entourait, m'orienter vers un nouveau bruit, une nouvelle lumière.
Alors que je marche le long de cette dernière plage, je repense au début du TA : 4 jours et 120 km de marche sur une seule très grande et longue plage.
C’est vraiment le propre de l’humain d’avoir évolué vers ce mode de déplacement vertical uniquement sur deux membres. Cela nous a permis de voir plus loin mais demande également une gestion plus fine de notre équilibre.
Je revois les photos de moi petit, alors qu’à l’époque je ne marchais pas encore. Mes parents m’emmenaient déjà en montagne dans un porte bébé. Les ressentis du mouvement dans un système de portage (écharpe, dans les mains, un sac à dos…) permettent d’apporter au bébé des informations sensorielles. Ces dernières constituent la base d’un bon équilibre. On en reparlera lors des passages boueux.
Après cette première étape, il y a déjà des abandons : près d’un tiers des personnes peuvent quitter le TA. Les raisons principales ? Le sac trop lourd et/ou un corps pas adapté. “Mal adapté” non pas qu’il ne le pourrait pas ; tout le monde le peut, même un enfant de 5 ans !
La marche peut paraître un acte anodin de prime abord, mais quand on commence à ajouter des kilomètres, tout notre corps est sollicité : les muscles, les articulations, les tendons, la peau.
Notre corps est prévu pour pratiquer ces longues marches depuis des milliers d’années. Il n’y a pas si longtemps — demandez à vos grands-parents— nous pouvions parcourir des dizaines de kilomètres à pied pour aller au village d’à côté et revenir. Donc vraiment rien d’extraordinaire dans le fait de marcher 30 km quotidiennement… ! À une condition : avoir gardé cette habitude pour maintenir ses compétences motrices.
Chez le bébé, c’est exactement la même chose. Dès qu’il n’est plus stimulé ou en situation de pratiquer sa motricité, il perd en compétence. Ainsi apparaissent certains troubles de la motricité, comme le torticolis positionnel, qui n’est ni plus ni moins une perte de compétence à tourner la tête d’un côté car non utilisée.
Lors de ces premiers jours de marche, mon rythme de vie change complètement. Je sais que je dois écouter mon corps et il n’est pas rare que je me couche entre 7 et 8 heures pour un réveil à 5 heures, avec le soleil.
Ce sont presque des horaires de bébé :) Pour aider votre enfant dans sa motricité, le sommeil est également capital. Essayez de bien l’observer et de détecter ses besoins.
Un des autres facteurs déterminants pour ne pas se blesser et pleinement utiliser toute sa motricité, c’est la fatigue. En cas de fatigue, nous sommes moins vigilant·es, la transmission des informations nerveuses et leur analyse par notre cerveau sont plus lentes. Dans ces conditions, on perd en précision et on a moins de chance de réussir, voire de se blesser.
Chez le bébé, c’est la même chose. Tous les jours, il acquiert de nouvelles compétences et mobilise celles qu'il possède déjà. S'il est fatigué, ses performances s’avèreront moins bonnes.
Et si votre enfant a du mal à dormir, je vous assure que travailler la motricité l’aidera à faire de meilleures nuits. Plus il bougera, plus il sera fatigué et plus il aura besoin de dormir. Mais attention, il faut aussi connaître un peu ses cycles car si on les passe, cela devient plus dur…
Une des belles surprises du Te Araroa est le nombre de rencontres ! Il est prévu entre 3000 et 4000 personnes sur le chemin cette année. Certaines pour accomplir l’intégralité du parcours , d'autres ont un temps limité et ne pourront marcher qu'une partie.
(Avec ce nombre j'espère que vous réalisez qu'il n'y a là rien d'exceptionnel.)
Notre évolution depuis des milliers d’années nous à pousser vers ces capacités. Toute notre motricité se développe au fil des années et conduit à marcher sur de telles distances.
Donc, avec tout ce monde, on fait forcément des rencontres.
Petit, j'étais dans une crèche "familiale" et lorsque j'ai acquis les premiers déplacements, je m'en servais pour aller vers les autres, ou plutôt vers les jeux des autres enfants. Dans tous les cas, cela met en interaction avec l'Autre. Plus grand, cette motricité sera davantage employée dans la coopération avec l'Autre, pour jouer ensemble
Cela fait quelques semaines que j'ai commencé à marcher et les premières difficultés arrivent avec la traversée de Puketi forest. Une longue journée à marcher dans une rivière puis dans de la boue glissante. Je retrouverai plusieurs fois ce terrain boueux sur le trajet, notamment à Dome Valley.
Les surfaces glissantes se révèlent difficiles à gérer, car, à la moindre erreur, je peux me retrouver au sol. Pour pouvoir maîtriser la marche sur ces terrains, il faut :
Cela n'est possible que par la répétition, l'entraînement, les erreurs et les chutes.
Encore une fois, merci à mes parents qui m'ont facilité le travail ! Depuis petit, j'ai l'opportunité de marcher sur des surfaces différentes un peu partout (l'herbe, la neige, la boue…) et j'ai continué à maintenir ces compétences motrices tout au long de ma vie : jouer dans les parcs, la forêt, puis par la pratique de sports comme le tennis, la randonnée, l'escalade, le volley, le badminton, la slackline...
Une autre situation où mon équilibre a été mis à rude épreuve était lors des marches exposées à de fortes rafales de vent, notamment à Tongariro. J’avais l’impression d’être un punching ball. Comme si tout le long de la marche quelqu'un s'amusait par surprise à vous pousser régulièrement. Là encore, une bonne connaissance de mon corps, des informations sensitives et proprioceptives de qualité m'ont permis de réagir rapidement et de garder mon équilibre sur le chemin.
La précision de cette proprioception est très utile dans certaines situations, notamment lorsque j'ai dû traverser des zones où l'herbe était si haute et dense que je ne voyais même pas mes genoux.
Rapidement après ma naissance, j'avais la possibilité de faire le mouvement du pédaler, ce qui m'a permis de commencer à ressentir mon corps. Tout au long de mes progrès moteurs, j'avais l'opportunité de répéter les mouvements appris, au début doucement et avec attention, avant qu'il ne devienne automatique.
De la même manière, je suis allé explorer les caves où des petits vers luisants étaient visibles seulement la nuit. La visibilité étant réduite, tous les autres sens sont mis en alerte. Je me souviens avoir joué à trap-trap dans le noir avec des amis jeunes (et plus âgés). Il ne fait aucun doute que ce type d'activité m'a aidé.
Plus tard, lorsque j'ai appris à conduire, au début, il me fallait regarder où se situait le levier de vitesse, et progressivement, je l'ai intégré. Maintenant, je n'ai plus besoin de regarder : je sais où il est, je sais où est ma main, même si je regarde la route.
C'est ça, la proprioception. Un complément pour travailler la proprioception et donc la représentation de son corps pour votre bébé, c'est de lui proposer le massage bébé.
Depuis des années maintenant, je suis passé aux chaussures minimalistes, à savoir composée d’une semelle fine. Cela permet de mieux ressentir ce qu'il se passe sous mes pieds. Une autre caractéristique, ces chaussures remonte peu au niveau de la cheville.
Lors du TA, j'ai marché avec ces mêmes chaussures. J'en ai usé deux paires. On m'a souvent demandé sur le chemin comment ça allait pour mes chevilles. Je répondais toujours la même chose : bien !
Elles sont habituées à travailler comme ça. Les avantages, sont qu'en étant libre de bouger, elles s'adaptent beaucoup mieux à toutes les surfaces : dans l'eau, sur le sable, les rochers, la route, la terre, les herbes… Mon pied prend automatiquement et sans entrave la bonne position.
Je gagne tellement en confort et aisance de déplacement que je peux sautiller de rocher en rocher et je me sens très léger, avec une réelle sensation de liberté.
Petit, j'ai eu droit aux chaussures premiers pas (mes parents ne sont pas parfait 😊) , mais j'ai aussi passé beaucoup de temps pieds nus dans l'herbe. Plus tard, j'ai toujours aimé marcher pieds nus, même en plein hiver, sur le carrelage.
tu peux mettre à la poubelle les chaussures dites "premiers pas". Dorénavant, pour tes petit·es, les chaussons souples sont vraiment la meilleure alternative.
(pour en savoir plus, j'ai écrit un article complet sur les chaussures premiers pas)
Pour ne pas faciliter le chemin, il arrive régulièrement d'être confronté à des obstacles nécessitant de passer sous des branches ou des troncs à quatre pattes, voire presque en rampant. Une autre solution est d'escalader et de passer par-dessus l'arbre. Il m'arrivait également de grimper sur des rochers pour prendre des photos.
Avez-vous remarqué la ressemblance de tous ces mouvements avec les étapes du développement moteur ? Les pratiques précoces m'ont permis d'acquérir des automatismes et de les franchir aisément.
Il y avait également ces ponts suspendus ou composé d’un seul câble. De nouveau pour moi, c'est un vrai jeu de les traverser. Les souvenirs de famille dans un camping où il y avait cette grande toile araignée, des tyroliennes, des ponts à traverser. Ou encore le « parcours de santé » de la forêt près de chez moi qui finissait par une poutre retenue par quatre chaînes et qui bouge dans toutes les directions.
Ou encore, dans la forêt... Il y a un arbre tombé qui permet de traverser la rivière en gardant les pieds au sec. Nous sommes dix ce jour-là à cette section et je suis le seul à avoir joué avec l'arbre et à passer dessus
(merci la pratique de la slackline, du parcours santé et des parcours de motricité à la crèche !).
À d'autres moments, le chemin était tellement raide qu'il me fallait mettre les mains pour pouvoir grimper. Comme mon neveu sur cette vidéo qui escalade un canapé.
Un des autres aspects auquel on ne pense pas toujours lorsque l'on parle de motricité, c'est le mental. Et dans les longues marches comme celle-ci, il est régulièrement titillé, notamment lors d’interminables journées à marcher sur la route...
Comme tous les bébés, je n'ai pas réussi mes transitions motrices du jour au lendemain. Déjà, je faisais face à des difficultés, mais je continuais quand même (comme tous les enfants jusqu'à un certain point où je pouvais me mettre à pleurer). Une fois la marche acquise, au début, j'atteignais un objectif court : le jeu qui est posé sur la chaise juste là. Puis à l'autre bout de la pièce, de la maison, du jardin, la boulangerie, un lac, un sommet... Des situations avec un objectif à atteindre progressivement de plus en plus loin m'ont aussi permis de travailler ce mental.
Le TA n'est clairement pas une autoroute. Il arrive régulièrement de devoir se poser pour s'orienter et trouver son chemin pour ne pas me perdre.
Cette orientation, j'ai commencé à la travailler lorsque j'avais à peine quelques mois et je faisais la boussole sur le ventre ! Puis j'ai continué de la travailler lorsque j'ai commencé à explorer l'espace qui m'entoure : la pièce, puis la maison, le jardin, le quartier, le village, la ville, la montagne.
S’adapter à toutes les situations
Le TA propose également d'autres pratiques auxquelles il faut s'adapter, comme des sections en canoë ou à vélo. La diversité des mouvements appris pendant mes premières années de vie facilite cette adaptation. Tous mes temps de jeux, les déplacements à vélo que j’ai pu faire dans mon enfance.
Dernier pas sur la plage, demain je fais mes derniers kilomètres pour rejoindre Bluff, dernière étape de cette aventure. Je remercie mon corps de m'avoir porté tout au long de ces pas.
Il n'y a pas d'âge pour cela, mais plus on le fait tôt, plus c'est facile.
Dans cet article, je vous partage ma propre histoire. Vous avez vu combien tout ce que mes parents m'ont proposé dans mon enfance a contribué à cela.
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